Des jambes à son cou (Rotonde de la Villette)
(Posted by Aïda)
Avec Pauline T. nous avions décidé de nous occuper des « jambes » du corps de Paris, que nous avions trouvé dans l'architecture, toute faite de colonnades -et contrastes- de la Place de la Bataille de Stalingrad, devant le Bassin de la Villette, dans le 19e arrondissement.
Pour l'Histoire, ce fut un édifice construit en 1784 avant la Révolution Française, par un grand architecte utopiste Nicolas Ledoux, dont beaucoup de ses réalisations ont malheureusement disparu.
A coté des barrières de contrôle de marchandises situées prés du mur qui entourait Paris alors, la Rotonde d'envergure monumentale, abritait les bureaux et la surveillance des entrepôts, plus loin.
L'édifice échappa plusieurs fois aux démolitions, du baron Haussmann en 1860 jusqu'à celle de la ligne 2 du métro aérien début du XXe, qui pour sauver le monument fait 3 virages autour de sa façade !
Le bassin, lui, était à l'origine (début du XIXe siècle) une réserve d'eau potable aux parisiens. Pendant la grand épidémie de choléra de 1832, furent moins touchés ceux utilisant l'eau du bassin, plutôt que celle de la Seine, polluée par les eaux usagées.
C'était aussi un lieu de loisir, (promenade l'été, patinage l'hiver !!!) qui va disparaitre pendant la révolution industrielle. Les bords du bassin furent remplis de dépôts de marchandises, devenant un no-man's land urbain.
Par la réhabilitation de deux de ces entrepôts en salles de cinéma grâce à Marin Karmitz, pendant les années 90 (MK2) le lieu retrouva peu à peu son esprit de promenade dominicale.
Mais aussi il rendit l'endroit « civilisé », car il était devenu par la force des choses le lieu des gens oubliés de la société, qui se réfugiaient là-bas pour finir dans la plus grande misère (drogues dures, prostitution, crime).
Aujourd'hui, pendant la promenade dominicale des parisiens (ce n'est pas un lieu touristique pour les visiteurs étrangers) on va faire un petit bilan contemporain, sous une lumière de fin de journée magnifique, juste après la pluie.
Les colonnes et fontaines marquent une symétrie architecturale parfaite, brisée par les contrastes sociaux du coté droit « versus » le coté gauche.
Il nous reste à remarquer que le complexe cinéma multisalles MK2 est relié d'une rive et de l'autre par un bateau électrique. Peut-être c'est le seul endroit au monde où l'on prend un bateau pour atteindre la salle projetant le film choisi...
On remarque d'un coté la terrasse protégée d'un café, comme les loges d'un théâtre. De l'autre, l'envers du décor... la désolation d'un groupe de sans-abri, définitivement installé ici malgré toute tentative de délogement. On les dit accrocs au crack, dangereux. C'est vrai qu'ils sont maigres, dans un dramatique état second et un besoin (trop) urgent d'argent. Le quartier les connait et garde les distances, et peut-être aussi un peu de compassion implicite. Ils ont aménagé récemment leur «endroit» avec les barrières vertes piquées au chantier de Crimée. Dedans, sous le froid, ils se couchent, se cachent, submergés dans une odeur indescriptible.
Le dimanche, les gens qui ne le savent pas, s'y promènent juste devant, insouciants. Parfois surpris. Ceux en marge restent presque tolérants. En semaine, quand il n'y a pas foule, c'est inimaginable de passer devant, de s'y attarder devant eux.
Avec Pauline, on y fait le tour, on y passe devant. Elle filme, la nuit va bientôt tomber. Tout ira bien si l'on ne s'approche pas trop. On voit le contraste entre les lieux « toile rouge bobo » (de bourgeois bohème) juste en face de « tôle verte déch » (de déchéance).
Peu à peu on est piquées par la curiosité, on filme de plus en plus « ce lieu interdit aux regards » nous croyant protégées par une certaine pénombre. On ne révèlera pas leurs visages, c'est sûr, par principe de dignité et déontologie. Merci Mr. After Effx'
Je fais semblant de poser pour Pauline, on fait les midinettes...
Quand soudainement se lève, comme une apparition, un homme suffisamment grand et menaçant qui sort de la barrière verte et se dirige décidement vers nous. Ca a l'air non négociable...
--« Je crois qu'on doit partir... et vite ! » Nous sommes dit en VF simultanée, Pauline et moi.
Et on a pressé le pas -vraiment ! -jusqu'à MK2, pour disparaître dans la queue des cinéphiles. Même pas peur...
On a fini par bien comprendre sur nos propres jambes pourquoi cet endroit de Paris nous semble representer bien cette partie du corps...